Librairie Pierre Saunier

Les Sèves originairesLes Sèves originaires Les Sèves originairesLes Sèves originaires Les Sèves originairesLes Sèves originaires Les Sèves originairesLes Sèves originaires Les Sèves originairesLes Sèves originaires Les Sèves originairesLes Sèves originaires

Frène (Roger).
Les Sèves originaires. Suivies de Nocturnes.

Paris, Perrin & Cie, 1908 ; in-12, cartonnage à la bradel papier flammé, tête or, non rogné, couverture et dos conservés. 208 pp.

500 €

Édition originale.

Envoi a. s. : Mon cher poète Francis Carco, je t’offre bien affectueusement ce livre, Roger Frène

La couverture est signée par Carco. Relié avec deux longues lettres de Roger Frène à Francis Carco de février et mai 1908, concernant le livre, la revue Pan, des histoires de poètes et une méchante démolition des frères Margueritte.

29 février 1908, 4 pp. in-8  (…) Que tu es gentil, mon cher petit Carco, de te donner tant de mal pour écrire cette étude. Je ne le mérite certainement pas, et je suis réellement flatté que le prosateur de La Phalange veuille bien s’occuper de son ami. J’ai beaucoup aimé tes proses ; elles ne manqueront pas de te faire grand bien dans l’estime qu’on commence à avoir pour ton talent ; elles te représentent dignement. J’aime surtout « l’alcool » (est-ce parce que tu me l’as donnée. Je ne le crois pas tout à fait), mais je goûte aussi beaucoup ton poitrinaire, dont tu m’avais fait la lecture à Rodez sans que j’en visses les délicatesses (…) Pour cette étude je te donnerais une indication à laquelle je pourrais ajouter, si je ne craignais pas d’une part de l’enlever ta fraîcheur de sensation et de l’autre de te paraître pompier et vaniteux. Je voudrais cependant que tu dises ceci : je ne crois pas que « le goût » existe en art. Il y a des artistes, ou il n’y en a pas ; mais il n’y a pas chez un artiste « des fautes de goût », celles-ci étant toujours nécessités par son inspiration naturelle qu’il faut admettre ou rejeter. Il n’y a pas en effet de moyenne mesure : une chose est belle ou n’existe pas esthétiquement. Il faut pousser jusqu’au bout une idée, et qu’elle éclate de maturité. Nous saisirons facilement le lien qui attache cette idée à mes poèmes lesquels sont une explosion de désir, de souffrance, ou de vision poussée à bout et dont les prétendus excès ne sauraient être un argument contre l’auteur : vive Zola ! … mais vive aussi Le Vinci !  Pour ce qui est des Sèves, elles en sont qu’un fragment, une indication d’œuvre. Elles marquent un point de départ, d’où on peut voir, il est vrai, de longues et profondes perspectives. Reste à accomplir la route. Il faut pour cela le temps, la patience, la santé, et le développement de l’esprit – toutes conditions purement physiques. Elles sont, ces Sèves, un peu comme le premier livre d’une énorme série qui ferait songer, toutes proportions de talents gardées, à la suite des Rougon-Macquart où à la foule des romans de Balzac. Mais ici pas n’est besoin de développement : la poésie est plus compréhensive que le roman et suggère plus qu’elle ne développe. Elle est synthèse, par nature. Il suffit donc qu’elle présente, en quelques morceaux, de vastes ensembles, de hautes colorations et d’intenses sentiments. C’est l’objet actuel de mon œuvre (…)

11 mai 1908, 3 pp. in-12 (…) Je t’ai adressé une épreuve des Sèves. Ne fais pas attention aux incorrections, je te prie, s’il en subsiste ; et imagine-toi qu’elles sont imprimées sur beau papier fort. Ainsi tu jugeras sainement du volume, et le loueras congrûment, car j’ai soif de quelque renommée, mon front l’encense lui-même, mais pour arriver à vendre un peu la marchandise, car hélas, il faut aujourd’hui lancer la poésie comme une denrée. Elle trouvera aussi, je crois, en mon cher ami Puy un critique bienveillant (il lui écrira aussi une monographie, n.d.l.r.). Il me répète dans ses lettres « vous êtes la plus grande force poétique qui ait paru depuis Jammes » et c’est d’une gentille et miroitantes illusion. Il faut bien être aveugle pour ceux qui nous sont chers. Tu auras reçu ma lettre interminable sur la Dépêche. Je t’enverrai les numéros intéressants, surtout les articles de Gourmont. Mais j’ai omis de te parler, dans les détails où je suis entré, de Victor Margueritte. C’est un des plus odieux littérateurs qui soient (je ne parle que de ses articles, car ses livres d’histoires m’ont toujours paru illisibles, et ses romans, oh ses romans, sont tout ce qu’il y a de plus long – un bâillement interminable). Un des plus odieux – parce qu’il est le triomphe de la médiocrité arrivée. Style plat comme une savate, sans couleur, phrases patriotardes 3e république radicale – toute politique à part, bien entendu – et les sujets les plus bas, les plus indignes d’un homme de lettres, et les plus dignes d’un reporter. Ces choses-là, il faut les dire pour dégoûter les jeunes de la course aux honneurs par la littérature médiocre. Car, les Margueritte sont arrivés à tout, à la notoriété, aux décorations, aux présidences etc., et seront demain de l’Académie, tu t’en doutes (…)

Né à Rodez en 1878, de son vrai nom Fraysse, receveur de l’enregistrement à Aurignac, Haute-Garonne (entête de son papier à lettres) Roger Frène fut un grand copain de Francis Carco qui lui consacra une petite plaquette aux Éditions du Feu, à Marseille, en août 1908 (il en est question dans la lettre). Frène collabora avec son thuriféraire à la revue Pan puis au Mercure de France, à L’Ile sonnante, à La Phalange de Jean Royère ou à La Revue Provinciale dont il s’occupa à Toulouse – Frène ne quitta pratiquement jamais son Rouergue natal, il s’y éteint en 1940. Les Sèves originaires est certainement son plus beau recueil. Il l’envoya à Apollinaire qui partageait la même inclinaison pour l’automne et sa languide tristesse ...

Bel exemplaire.